A nouvelle année, nouvel élan au Népal ?

8 mois après le séisme ravageur, un second séisme sévit au Népal : celui de la crise politique, de la corruption et du marché noir...


Un Népal paralysé par une crise politico-énergétique


Kathmandu, le 25 décembre 2015.

Le Népal connait depuis le 20 septembre 2015 une des plus terribles crises politique et économique de son histoire. A cette même date avait pourtant été annoncé fièrement par Monsieur le Premier Ministre Koirala l’établissement de la toute première constitution de l’histoire du pays. En 2008, deux ans après la chute du régime monarchique de 2006, le pays adoptait le régime républicain démocratique de type fédéral. S’en est suivi une succession anarchique de gouvernements, alternant Maoïstes (United Communist Party of Nepal), Communistes (Nepali Congress) et Socio-communistes (Unified Marxist Leninists).  Avant la création de la constitution, le Gouvernement élu était de mouvance Nepali Congress. Une fois cette constitution officiellement créée, Monsieur Oli du parti UML a été élu par le Parlement pour être Premier Ministre. Bien entendu, cette annonce de constitution a été perçue comme un évènement historique, une fête nationale synonyme d’un nouveau Népal, un Népal qui se reconstruit, un Népal qui s’organise. Mais seulement quelques jours après cette fête, le peuple Népalais déchantait vite en voyant à la une des journaux que l’Inde fermait ses frontières.

 

Mais qu’a t’il bien pu se passer pour en venir là dans une période si faste ?

La réponse se trouve au sud du Népal, le long de la frontière Indienne, dans la région du Teraï. 

Au lendemain de l’annonce de la nouvelle constitution, le petit groupe politique (jamais élu) du Teraï, appelé Madhesi, manifestait son mécontentement concernant la fédéralisation du Népal et plusieurs amendements remettant en cause quelques droits civiques et sociaux. Le pays étant un état fédéral choisi à l’unanimité, il était prévu dans la constitution qu’il soit divisé en six états, ce qui sur le papier convenait à à-peu-près tout le monde. Jusque-là rien d’original. Sauf qu’il faut savoir que le Népal, c’est 60 ethnies et autant de cultures et langues distinctes. Là où le groupe Madhesi n’est pas satisfait, c’est que dans chacun des états incluant des régions du Teraï les ethnies Indo-Népalaises se retrouvent systématiquement en nombre minoritaire par rapports aux nombreuses autres ethnies de l’Etat. En soit, cette remarque peut être judicieuse et même vue comme discriminatoire, mais le fait est que tout le Népal connait ce phénomène de par son histoire, sa culture et sa démographie. Certes la plupart des ethnies Népalaises ont une région d’origine (les Sherpa vers l’Everest, les Tamang dans le Langtang, les Newars en vallée de Kathmandu, les Gurung dans la région des Annapurna, …) mais rappelons que ces régions sont de petite taille à l’échelle d’un Etat et qu’elles ont elles aussi été intégrées à des Etats dont l’ethnie majoritaire n’est pas forcément la leur. Le peuple Népalais vit en harmonie depuis des siècles, en parfaite mixité culturelle et religieuse, c’est même ce qui fait sa force et son originalité. Commencer aujourd’hui à établir des Etats ethniques ou de couleur politique causerait la perte totale des commandes du pays et de sa culture si riche et pourrait conduire à des dérives dangereuses pour la stabilité politique du pays. Le Gouvernement en est bien conscient. De plus, géographiquement, il n’est techniquement pas possible de constituer un Etat du Teraî tant sa surface est complexe et allongée (environ 860 km x 30 km).

Le groupe Madhesi, sur cette base ethnique et politique, a donc décidé de bloquer tous les échanges commerciaux entre Inde et Népal jusqu’à exécution de ses revendications, c’est-à-dire la création d’un Etat du Teraï.

Compte tenu de la quasi-inexistence de frontière migratoire entre Népal et Inde, la grande majorité de la population du Teraï se retrouve aujourd’hui avec la double nationalité, ce qui fait du Teraï une zone tampon entre Népal et Inde très difficile à gérer.

De façon globale, cette population n’est pas spécialement d’accord avec les idées du groupe Madhesi, mais cette entité politique étant très structurée, active, soudée et financée, son influence s’étend maintenant à tout le pays.

Depuis trois mois, le Népal se retrouve donc avec une frontière Indienne fermée à 90 % sur les cinq principales voies de communication, privant le pays de ses plus précieuses matières premières d’importation : le pétrole et le gaz. A cause de ce phénomène, la totalité des biens importés d’Inde a vu ses prix doubler, voire tripler et le pays s’est retrouvé complètement paralysé dès la deuxième semaine de blocage. L’huile alimentaire, le sucre, le ciment, les produits obtenus à partir du pétrole ont par exemple vu leur prix s’enflammer, … lorsqu’on en trouve…

Pour vous donner un ordre d’idée, l’attente à la pompe est de, en moyenne, cinq jours pour obtenir quelques petits litres d’essence ou diesel rationnés (en général 4 litres d’essence par moto, 10 litres pour un taxi, 15 litres pour les véhicules diesel), quand les pompes sont approvisionnées. Depuis ces trois mois, du gaz a été distribué uniquement à deux reprises et pour une toute petite minorité de gens. La population de Kathmandu se retrouve dans des conditions de vie plus que précaires, sans gaz pour cuisiner. Face à cette pénurie, les gens ont décidé de s’équiper en matériel électrique (plaque à induction, chauffage électrique…), il en résulte aujourd’hui une surconsommation entraînant des black-out. En période normale, Kathmandu connait des coupures de courant avoisinant les 8 à 10 heures par jour au mois de novembre. Aujourd’hui, les coupures sont de l’ordre de 12 à 16 heures par jour en raison de cette surconsommation et lorsqu’il y a de l’électricité ce n’est qu’à puissance divisée par deux, insuffisante pour utiliser un cuiseur électrique. 

Bien entendu, des petits malins ont créé un marché noir, aujourd'hui très bien organisé et développé dans tout le pays. Ce marché parallèle est devenu l'unique fournisseur d'essence et de gaz du pays, les stations et dépôts n'étant plus approvisionnés. Tellement bien organisé et financé, ce marché noir permet en un claquement de doigt d’obtenir de l’essence (diluée) à 3 € le litre ou une recharge de gaz à 80 € venant d'Inde, alors que deux mois auparavant les tarifs avoisinaient plutôt les 8 € le litre d’essence et 110 € la recharge de gaz.

Dans ces conditions, comment le Népal peut-il se reconstruire avec un sac de ciments au prix doublé, un coût de transport parfois triplé, un marché noir profitant de la misère des gens et un Gouvernement semblant ne rien faire pour que la situation s’améliore ?

Six mois après la catastrophe qu’a connue le pays, ce peuple n’avait vraiment pas besoin de ça alors qu’il commençait tout juste à se reconstruire. N’oublions pas que nous sommes au début de l’hiver, que les coupures d’électricité vont s’intensifier et que le froid va s’installer dans le pays.

 

Compte tenu du peu d’éléments ressortant des nombreux meetings réalisés et de la quasi absence d'informations réelles communiquées par les médias, il est peu probable que la situation s’améliore avant plusieurs mois. Les foules sont au bord de l’explosion. La situation nous inquiète au plus haut point tant on ignore à quoi peut aboutir cette paralysie qui met à bout tous les Népalais. 


Aucune inquiétude pour les touristes

Les problèmes actuels que connait le Népal ne doivent pas pour autant faire peur aux touristes qui seront reçus dans les mêmes conditions qu'avant la crise. Quelques mouvements de foule engendrant l'intervention de la Police ont éclaté dans le sud du Népal, causant la mort de plus de 30 personnes jusqu'à aujourd'hui, mais ces événements ne se cantonnent qu'à la frontière Indienne du Teraï. Lors d'un séjour prévu pour les prochains mois, il est donc préférable d'éviter les zones touristiques de la frontière Indienne (Chitwan, Lumbini, Janakpur...). Cependant, tout le reste du pays est très stable et on ne constate aucun mouvement de foule. L'organisation de vos transferts, malgré la pénurie de pétrole, ne sera pas non-plus perturbée grâce à nos nombreux contacts de compagnies de transports. Le seul petit aléa de la crise actuelle visible directement par les touristes est le manque flagrant de gaz obligeant la plupart des restaurants à proposer une carte des menus sommaires, ou même à fermer leurs portes pour certains établissements.